16/10/2023
 DANS 
SOCIÉTÉ

Disney trop "woke" pour les Français.es ?

Étude en cours de diffusion

Lundi 16 octobre, jour pour jour, la Walt Disney Company fêtera son 100ᵉ anniversaire. C’est en effet le 16 octobre 1923 que Walt Disney et son frère Roy O.Disney ont fondé à Los Angeles Disney Brothers Studio, cinq ans avant la naissance de Mickey et quatorze ans avant la sortie de leur premier long métrage d’animation Blanche Neige et les Sept Nains.

Un siècle plus tard, la firme américaine est devenue un géant incontournable du monde de la création audiovisuelle et du divertissement. Propriétaire de Pixar, Marvel ou encore Lucas Film (Star Wars), Disney emploie quelque 220 000 personnes et a réalisé un chiffre d’affaires de 82,7 milliards de dollars l’an dernier.

Depuis plusieurs années, la Walt Disney Compagny s’est engagée à produire des œuvres reflétant mieux les évolutions de la société. Si certaines de ses initiatives ont été saluées, comme en 2009 avec l’apparition de Tiana, première princesse afro-américaine à l’écran, d’autres, comme la perspective de remplacer les nains de Blanche Neige par des créatures magiques, font hurler au wokisme ses détracteurs.

Comment les Français.es, gros consommateurs de productions Disney, vivent-ils ces évolutions ? Que pensent-ils du remplacement de Blanche Neige par une actrice latino-américaine ou de la mise en scène d’une princesse lesbienne ? Jugent-ils important que la diversité ethnique soit mieux représentée ?

Les résultats de l’étude menée par l’IFOP à la demande de l’agence spécialisée en data FLASH et du site Voyage avec Nous donnent une image plutôt conservatrice de nos concitoyens, attachés au caractère original des œuvres, mais également profondément divisés sur certaines questions selon les générations et leur degré de progressisme.

Consommation et valeurs Disney

Un.e Français.e sur quatre visionne une production Disney au moins une fois par mois

  • 63% des Françaises et des Français ont regardé un programme Disney au cours des trois dernières années, dont 24% au moins une fois par mois ;
  • Les plus jeunes sont également les plus assidus : 48% des 18-24 ans et 53% des 25-34 ans en ont visionné au moins une fois par mois ;
  • 42% des foyers abritant des enfants de moins de 15 ans sont dans ce cas contre 17% des foyers sans enfants.

Valeurs de tolérance, de découverte et de voyage

  • 63% des personnes interrogées disent que les œuvres de Disney les ont rendues plus tolérantes, un constat fortement partagé par les 25-34 ans (76%) ;
  • Elles ont aussi renforcé l’envie de découvrir d’autres cultures chez 58% des répondant.es (et 74% des 18-24 ans), de vivre davantage d’aventures et de voyager vers des destinations inédites pour 42% ou encore de voyager plus fréquemment pour 39%.

La position sur les changements à apporter aux films d’animation et aux classiques Disney

Les Français.es opposés aux modernisations sociétales des classiques

  • 62% des personnes interrogées sont contre les modifications apportées pour adapter les classiques Disney aux valeurs sociétales actuelles. Un chiffre similaire à celui enregistré aux USA* (61%) ;
  • Les répondants se définissant comme très progressistes sont 32% à désapprouver ces modifications contre 89% de celles et ceux se disant très conservateurs.

*   Étude YouGov réalisée du 12 au 20 avril 2023 par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population des États-Unis âgée de 18 ans et plus

Des positions plutôt conservatrices face aux évolutions

  • 77% des Français.es ne veulent pas que les nains soient remplacés dans Blanche Neige par des créatures magiques. Un avis majoritaire quelle que soit la tranche d’âge ;
  • Plus de 7 sur 10 (71%) refusent également l’idée que Blanche Neige ne soit pas sauvée par le prince et ne rêve pas de trouver le grand amour dans la future adaptation de ce classique ;
  • Dans une proportion identique (70%), nos compatriotes ne souhaitent pas que soient supprimées les scènes ou le prince charmant embrasse Blanche Neige et la Belle au Bois Dormant alors qu’elles sont inconscientes ;
  • Les Français.es sont plus partagés sur la représentation de personnages LGBTQIA+ : si 53% y sont défavorables, ce n’est pas la majorité chez les plus jeunes (43% d’opposants chez les 18-24 ans) ni chez les progressistes (40%) ;
  • Les seules évolutions qui ne recueillent qu’une – courte – minorité d’avis défavorables sont le choix d’une actrice latino-américaine pour interpréter Blanche Neige en 2024 (48% désapprouvent) et le choix de confier à une actrice afro-américaine le rôle de la Petite Sirène en 2023 (46% sont contre).

Les Français.es moins sensibles que les Américain.es à la diversité ethnique

  • Quand 63% des Américain.es jugent important que les princesses Disney reflètent la diversité ethnique, les Français.es ne sont que 42% dans ce cas, chiffres qui illustrent les grandes différences d’approche de cette question entre nos deux pays ;
  • Le détail des chiffres met en lumière de grandes disparités générationnelles : 67% des 18-24 ans et 60% des 25-34 estiment qu’il s’agit là d’un sujet important, contrairement aux 50-64 ans (36%) et aux plus de 65 ans (25%) ;
  • Les femmes (46%) y sont également plus sensibles que les hommes (38%).

L’influence du modèle des princesses Disney sur l’éducation des filles et leur rapport au genre

Libres d’être des princesses

  • Seuls 8% des personnes interrogées jugent « mauvais » que les petites filles rêvent de devenir des princesses. 37% pensent au contraire que c’est une bonne chose tandis que pour 49% des répondant.es, ce n’est ni l’une ni l’autre ;
  • La même question posée aux Américain.es produit des réponses quasi identiques : 38% estiment que c’est une bonne chose, 6% que c’en est une mauvaise et 50% ni l’une ni l’autre ;

La princesse lesbienne divise les Français.es

  • Une courte majorité (52%) désapprouve la perspective de voir une princesse lesbienne mise en scène par Disney. Ils sont 59% dans ce cas outre-Atlantique ;
  • Comme pour le rapport à la diversité ethnique, les générations s’opposent clairement sur la question : un tiers (34%) des 18-24 ans est défavorable à l’idée d’une princesse homosexuelle quand les deux tiers (67%) des plus de 65 ans le sont ;
  • Plus on regarde de productions Disney et moins l’on est opposé à cette ouverture de genre : 27% des consommateurs hebdomadaires sont dans ce cas contre 64% de ceux qui n’en visionnent jamais ;

De l’influence de Disney sur les attentes sentimentales des Françaises

  • 84% des Françaises (hétérosexuelles ou bisexuelles) interrogées par l’IFOP disent que l’homme idéal doit être romantique. 22% d’entre elles jugent que Disney a renforcé cette attente chez elles ;
  • Elles sont par ailleurs 19% à dire que Disney les a influencées dans leur attente (partagée par 85% des répondantes) d’un partenaire qui les protège, et 19% également dans leur souhait qu’il soit brave (79% ont ce désir).
  • Celles qui consomment le plus de Disney sont aussi celles qui disent avoir été le plus influencées : par exemple, 36% des consommatrices au moins mensuelles disent que Disney a renforcé leur attente d’un homme romantique.

Le Roi Lion est bien le roi

  • Avec 15% des personnes interrogées qui en font leur Disney préféré, le Roi Lion arrive largement en tête des 26 longs métrages animés soumis au vote des Français.es dans cette enquête ;
  • Porté par le vote des plus âgés, Cendrillon prend la seconde place du classement et la première chez les plus de 65 ans (16% d’entre eux le citent comme leur préféré). Viennent ensuite plusieurs grands classiques comme Bambi (4%), Le Livre de la Jungle (4%) et Blanche Neige (3%) ;
  • Chez les moins de 35 ans, loin derrière le Roi Lion (20%), c’est Mulan (6%) qui prend la seconde place, suivie par Raiponce (4%).

Le point de vue de Gautier Jardon, chargé d’études senior à l’Ifop

 Loin d’être un sujet frivole, les films d’animation Disney apparaissent en France comme un sujet d’éducation fondamental, tant ces œuvres accompagnent les premières années de chaque nouvelle génération. Aussi, alors que l’intérêt premier de Disney semble être de marcher sur des œufs pour ne jamais choquer son public familial, au risque de le perdre, toute stratégie de positionnement semble incapable de faire consensus. À tenter de moderniser ses productions, la firme de Mickey se heurte au rejet d’une large frange de population conservatrice, inquiète d’une révision « wokiste » des classiques de son enfance. Ceci sans pour autant satisfaire pleinement un public plus jeune et progressiste, qui juge ses évolutions trop timorées. Plus que le thermomètre de la stratégie de Disney, cette étude est une nouvelle mise en lumière des fractures d’une société française « archipelisée »* (Jérôme Fourquet). Laquelle incite à conclure pour la France, comme Martin Kaplan** l’a fait pour les États-Unis : « nous sommes tellement divisés aujourd’hui, […] que même Disney a du mal à nous rassembler. »

 * « L’Archipel français », de Jérome Fourquet, au Seuil / **Ancien professeur à l’université de Californie du Sud et ancien de Walt Disney

Étude menée par l’IFOP pour Voyage avec Nous les 3 et 4 octobre 2023 auprès de 1 011 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française.

Photo : Craig Adderley