31/5/2023
 DANS 
SOCIÉTÉ

L'écriture manuscrite perd ses plumes

Étude sous embargo de diffusion : jeudi 1er juin à 6h

Claviers contre crayons : vers la fin de l'écriture manuscrite ?

Nous écrivons de moins en moins à la main. C’est le constat net et sans bavure que dressent les résultats de l’étude conduite avec l’IFOP par FLASHS et le site Otypo.com sur les usages des Françaises et des Français en la matière. À l’heure du tout numérique, le clavier a désormais pris un ascendant inexorable sur le stylo et le papier. Et quand bien même nos compatriotes continuent de porter un attachement certain à l’écriture manuscrite, sa pratique se raréfie, au point que cartes postales, cartes de vœux et autres mots doux tombent en désuétude.

Il est vrai que pour certains d’entre nous, écrire à la main a pu se révéler une souffrance, notamment à l’école. C’est ce que disent tout particulièrement les hommes, bien plus affectés et pénalisés que les femmes par les conséquences d’une graphie hésitante ou inesthétique.  

Le troisième volet de cette enquête s’est intéressé à la perception de l’écriture inclusive, qui fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps, au travers d’un projet de loi visant à l’interdire ou encore de décisions de justice retoquant son emploi. Si l’opinion française est très partagée sur le sujet, les femmes, qui y voient sans aucun doute le signe d’un progrès en termes d’égalité, se montrent majoritairement favorables à l’emploi du point médian quand les hommes font preuve d’un enthousiasme beaucoup plus mesuré.

Le numérique prend ses aises

Plus de la moitié (55%) des Français utilisent aujourd’hui plus fréquemment un clavier qu’un stylo ou un crayon pour écrire. Seuls 11% des personnes interrogées écrivent plus souvent à la main tandis qu’un quart (25%) passe indifféremment d’un mode à un autre.

Ils sont 40% à ne pas afficher de préférence pour l’un ou l’autre mode d’écriture. Quand ils en ont une, 26% penchent pour l’écriture à la main et 25% pour l’usage du clavier. Les femmes et les 18-24 ans sont les plus nombreux (31%) à privilégier l’usage du stylo.

 Le stylo perd la main

Si elle n’a pas disparu, l’écriture manuscrite est de moins en moins pratiquée : 78% des répondants disent écrire moins fréquemment à la main qu’il y a 10 ans. C’est notamment le cas pour les seniors puisque près de 9 sur 10 (86%) font ce constat.

Les moyens électroniques mis à leur disposition pour échanger supplantent chez les Français les supports traditionnels sur papier : à peine plus de 4 sur 10 (41%) ont écrit une lettre personnelle à la main ces 12 derniers mois, moins d’un tiers une carte postale (32%), une carte de vœux (31%) ou un mot d’amour (28%). Ils sont toutefois 7% à avoir pris leur stylo pour imiter la signature de quelqu’un à son insu… 

La belle écriture plus féminine que masculine

Femmes et hommes ne portent pas le même regard sur leur écriture manuscrite. Les premières sont en effet 57% à estimer qu’elles ont une belle écriture quand les hommes ne sont que 41% à penser la même chose de la leur.

En revanche, les deux genres s’accordent sur la qualité de leur signature : elles et ils sont 49% à apprécier leur paraphe.

Des difficultés très genrées

Quand l’écriture s’avère un handicap, il affecte beaucoup plus les hommes que les femmes. Ils sont ainsi 28% à penser qu’elle a pesé sur leur scolarité, notamment en leur occasionnant de mauvaises notes (33%) ou en suscitant la moquerie d’enseignants ou de camarades (38%).

Des difficultés qui ont perduré après l’école : cela a été le cas de 14% des hommes à l’occasion d’un recrutement, 13% indiquant même avoir renoncé à postuler pour un poste lorsqu’une lettre manuscrite ou un test graphologique étaient demandés.  

Si elles n’ont pas été totalement épargnées par ces problèmes, les femmes l’ont été à l’évidence beaucoup moins que les hommes. Elles sont en effet 12% - soit deux fois moins que les hommes - à estimer que leur écriture manuelle les a handicapées lors de leur parcours scolaire, 23% à avoir subi des remarques à cause d’elle et 22% à la rendre responsable de mauvaises notes.

Sur le plan professionnel, les différences de genre sont également fortes. Là encore, les femmes sont deux fois moins (7%) à avoir rencontré des problèmes en phase de recrutement ou à avoir renoncé à candidater par honte de leur écriture (7%).

Écriture inclusive : le point médian séduit les femmes et les jeunes…

Pris dans leur ensemble, les Français affichent une opinion très partagée sur l’utilisation du point médian en différentes occasions : 51% sont ainsi favorables à son emploi dans les documents administratifs, 49% dans les échanges professionnels ou dans les échanges personnels, 48% lors des examens universitaires ou dans les médias.

Mais le détail des chiffres montre que les femmes soutiennent bien plus que les hommes son usage. Elles sont ainsi près de 6 sur 10 (59%) à l’approuver dans la documentation administrative contre 42% des hommes,  56% contre 42% dans le cadre d’échanges professionnel, 54% contre 41% dans le cadre des examens de l’enseignement supérieur.

De nettes différences existent aussi en fonction de l’âge des répondants : Si 63% des 18-34 ans approuvent le point médian dans la littérature administrative, à peine plus d’un tiers (36%) des plus de 65 ans partage cet avis.

… et clive les opinions politiques

La question de l’usage du point médian révèle de très nettes divergences en fonction des opinions politiques de personnes interrogées. S’il séduit largement à gauche - plus de 6 électeurs de Jean-Luc Mélenchon sur 10 sont globalement favorables à son emploi -, il ne convainc absolument pas les électeurs d’Éric Zemmour, avec des taux d’adhésion oscillant entre 14 et 16% selon les cas et aux alentours d’1 électeur de Valérie Pécresse sur 3. Les sympathisants d’Emmanuel Macron  (de 43% à 45% en faveur) et de Marine Le Pen (de 46% à 52%)  sont ceux qui se rapprochent le plus de la moyenne des Français.  

Un usage générationnel

Si 29% des Français indiquent avoir déjà utilisé le point médian dans leurs échanges, la proportion des réfractaires est encore aujourd’hui majoritaire puisque 12% disent l’avoir fait avec réticence, auxquels s’ajoutent les 46% qui ne l’ont jamais employé et seraient réticents à le faire si cela devenait la norme.

Les personnes âgées de plus de 65 ans sont deux fois moins nombreuses que les 18-24 ans à avoir déjà utilisé le point médian (24% contre 49%).

 

Le point de vue de l'expert

« Comme l’on pouvait s’y attendre, cette étude montre un net déclin de la pratique de l’écriture manuscrite au profit des usages numériques. Aujourd’hui, les Français qui écrivent davantage sur papier qu’au moyen d’un clavier sont très minoritaires, et près de 80% des personnes interrogées indiquent écrire moins à la main qu’il y a 10 ans.

Mais tout n’est pas perdu car, parallèlement, les Français restent attachés au papier et à ses bienfaits en termes de concentration, d’apprentissage, ou tout simplement pour le plaisir qu’écrire à la main procure. Un plaisir qui semble se conjuguer au féminin puisque les femmes sont plus nombreuses que les hommes à trouver qu’elles ont une belle écriture, et bien moins nombreuses qu’eux à dire que leur écriture a pu constituer un handicap à l’école ou dans leur vie active.

On retrouve cette perception fortement genrée dans l’appréhension de l’écriture inclusive : parce qu’elles y voient la reconnaissance de plus d’égalité, les femmes adhèrent plus massivement que les hommes à l’usage du point médian dans les échanges qu’elles peuvent avoir, qu’ils soient professionnels ou personnels. Plus globalement, si elle divise toujours les Français, l’écriture inclusive progresse incontestablement puisque près d’un tiers des personnes interrogées et la moitié des 18-24 ans disent avoir déjà fait usage du point médian. »

Hugo Lasserre, chargé d’études à l’IFOP

 

Étude IFOP pour Otypo.com réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 15 au 16 mai 2023 auprès d’un échantillon de 1 003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Photo : lil artsy