1/6/2023
 DANS 
SOCIÉTÉ

Paroles d'experte avec Alicia BIRR

Alicia BIRR : “L’écriture inclusive rend les femmes visibles”

Une récente étude menée par FLASHS et OTYPO révèle que plus de la moitié des Français.e.s sont favorables à l’utilisation du point médian dans la rédaction de documents administratifs, et que près d’un tiers, les jeunes notamment, l’a déjà utilisé dans ses échanges.

Pour évoquer les enjeux liés à l’écriture inclusive, sujet hautement d’actualité, Léa Paolacci a interviewé Alicia Birr, fondatrice de plate-forme Re·wor·l·ding

Léa PAOLACCI (FLASHS)

Alicia Birr, merci d'être mon invitée pour cet entretien. Pour commencer, je vous laisse vous présenter.

Alicia BIRR

Merci beaucoup Léa pour cette invitation. Je suis Alicia Birr. J'ai fondé il y a presque trois ans maintenant une plateforme qui s'appelle Re·wor·l·ding et dont l'objectif est de déconstruire notre discours du quotidien, pour reconstruire un langage qui soit plus inclusif et encourager aussi à la pratique du langage inclusif.

Léa

Ce langage inclusif, en quoi il consiste ? Qu'est-ce que l'écriture inclusive ?

Alicia

Il y a beaucoup de définitions qui existent de l'écriture et du langage inclusif. Je préfère parler de langage inclusif, dont l'écriture fait partie, parce que dans ma pratique quotidienne, je m'exprime à l'oral comme à l'écrit de manière inclusive. Donc moi, je parle de langage inclusif. 

Le langage inclusif est un ensemble d'attentions que l’on va porter à la manière dont on s'exprime pour représenter toutes les personnes, quel que soit leur genre, en employant diverses méthodes. Le point médian est une de ces méthodes, mais il y en a d'autres, afin que chacun et chacune soit représenté. De manière aussi, au-delà du genre, à utiliser des mots qui véhiculent le moins possible de stéréotypes, que ce soit des stéréotypes de genre, mais aussi des stéréotypes racistes, validistes ou grossophobes.

Léa

Justement, en début de cette année 2023, 60 députés ont déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi pour interdire très largement l'utilisation de l'écriture inclusive, dans les publications, qu'elles soient administratives, au niveau scolaire et au niveau commercial également. 

Comment expliquer cette controverse autour du langage inclusif ?

Alicia

La controverse telle qu'on la voit dans le paysage médiatique et politique est très spécifique à la France. Le langage inclusif est un sujet qui préoccupe dans plein de pays et pas seulement les pays francophones. D'ailleurs, ce sont les pays hispanophones qui s'y intéressent le plus si on regarde les données de recherche sur Google Trends par exemple. 

En France, la nature et l'intensité du débat sont sans commune mesure avec d'autres pays. La France, en tant que pays et en tant que nation, s'est construite sur cette idée, ce narratif, que la cohésion et l'unité nationale passaient par la cohésion d'une langue française, qui serait le même français pour tous et pour toutes. 

Depuis l’édit de Villers-Cotteret au XVIe siècle, tout le monde parle le même français et c'est ce qui constitue la nation France. Ce qui est, par ailleurs, très discuté par les linguistes, les historiens et les historiennes.

Mais c'est beaucoup plus compliqué que cela. Aujourd’hui, nous disons « La langue de Molière, il faut absolument la préserver. »

En réalité, il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, quand on lit un texte de Molière, ce n'est pas un texte écrit de la manière dont Molière l'écrivait il y a plusieurs siècles. C'est un français modernisé. 

Aujourd'hui, quand on touche au français, que ce soit à travers des changements de graphie, par exemple l'outil de l'écriture inclusive qui est le point médian, ou même quand on tente de faire des réformes de simplification de l'orthographe, on dit « Ça ne sert à rien de mettre un i de « oignon » donc on peut l'enlever. » 

On peut voir des levers de bouclier qui sont similaires, du fait de cette idée que, quand on touche à la langue française, in fine, on peut toucher à la nation française. 

Cette imbrication entre l'idée de la langue ciment de la nation, puisque c'est l'expression qui fait foi, explique qu’en France, avec cette idée de l'exception culturelle, on ne peut pas toucher à la langue sans risquer de toucher même à l'état de la nation.

Léa

Justement, on retrouve cette même problématique dans l’éducation. Notamment au niveau de l’apprentissage de l’écriture et de la lecture auprès des jeunes enfants. L'usage du langage inclusif pourrait-il être un frein à cet apprentissage ?

Alicia

Il y a une incompréhension de la part des Françaises et des Français sur ce dont on parle. Le point médian, et c'est le principal point que vous soulevez quand vous dites « difficulté d'apprentissage », c'est un outil parmi plein d'autres de la boîte à outils du langage inclusif. 

Aujourd'hui, quand Emmanuel Macron ou tous les présidents de la République depuis De Gaulle, commencent leurs discours par « Française, Français », c'est du langage inclusif. 

Et il ne viendrait à personne l'idée de dire « On va interdire aux profs dans les écoles de dire « Françaises, Français » ou, encore moins, d’interdire au président de commencer ses discours comme ça. 

De la même manière, quand on va favoriser l'emploi de mots non genrés ou de termes englobants, quand on va dire, par exemple, le corps médical plutôt que les docteurs et les infirmières, c'est aussi un des outils du langage inclusif.Et ça, c'est juste un choix de vocabulaire qui ne change rien à la manière dont on écrit les mots. 

Quand on parle aujourd'hui de difficultés d'enseignement ou d'apprentissage de la langue, c'est parce qu'on se focalise sur un des outils qui est l'élément de ponctuation, en l'occurrence le point médian. 

C’est vraiment important de mettre ça en contexte. Quand vous écrivez « M. » au lieu d'écrire « Monsieur », ça ne choque personne. Quand vous écrivez « Mme » pour écrire « Madame », c'est une abréviation. Le point médian, c'est simplement un outil qui permet uniquement à l'écrit de faire des abréviations pour gagner du temps, pour gagner de la place.

En réalité, de la même manière qu'on enseigne le système des abréviations aux élèves, on peut très bien leur apprendre que parmi les outils d'abréviation, quand on veut écrire des mots à la fois au masculin et au féminin, on peut utiliser le point médian. 

Un élément qui revient également très souvent, c'est comment fait-on pour les enfants qui ont des difficultés spécifiques d'apprentissage ? Par exemple, tous les enfants ou les adultes d'ailleurs qui sont dyslexiques, dyspraxiques, il y a une variété de termes pour parler des troubles dys. Si on enlève le point médian de l'équation, le problème, c'est juste l'enseignement de la langue française.

En réalité, on manque de preuves scientifiques pour dire que le point médian serait plus problématique pour les enfants dys que pour les autres. 

D'ailleurs, la Fédération française des dys, qui est une fédération d'association de personnes dys, a sorti un avis en août 2020 qui disait « On ne peut pas aller à l'encontre du langage inclusif parce que dans le principe, on ne peut pas aller à l'encontre de l'égalité entre les femmes et les hommes”.

En revanche, dans l'enseignement des différentes pratiques du langage inclusif, réservons l'enseignement du point médian aux enfants qui ont déjà un certain niveau d'apprentissage. Quand la pratique est mieux acquise, on peut mobiliser le point médian.

Il y a un livre dirigé par Raphaël HADDAD, auquel j'ai contribué, qui s'appelle “L'écriture inclusive et si on s'y mettait”, dans lequel deux psycholinguistes, dont Pascal GIGAX et Sandrine DUFFERET, ont écrit un article qui pose aussi des hypothèses selon lesquelles, dans certaines formes de dyslexie, le point médian pourrait même être bénéfique à la lecture. Il permettrait aux personnes de bien faire une distinction, une séparation à l'intérieur des mots. 

On observe qu’il y a beaucoup d'idées reçues autour de cette idée de l'apprentissage ou de l'enseignement de la langue.

Léa

Finalement, toutes ces idées reçues reposent sur l'incompréhension aussi globale et le bon usage, notamment. Et justement, l'enquête que nous avons menée révèle aussi une différence d’intention d’usage par rapport au genre et à l'aspect générationnel. 

Les femmes sont 59% à être favorables à l'utilisation du point médian dans tout ce qui relève de l’administratif contre 42% pour les hommes. 

Et côté générationnel, on retrouve aussi une nette fracture, 63 % des 18 à 34 ans, donc des jeunes, adhèrent à l'usage de ce point médian par les administrations, contre à peine plus du tiers pour les plus de 65 ans. 

Comment expliquer cette différence ?

Alicia

Sur la partie genre, ça paraît assez évident, mais c'est très instinctif. Quand on est une petite fille, qu'on apprend pour la première fois à l'école la règle du masculin qui l’emporte, qui est formulée de manière très violente, on parle d'accords de genre grammatical, mais en réalité, on voit bien que nous, en tant que femmes, on apprécie, en tant que personnes concernées, d'être nommées, parce que le simple fait d'être nommées nous rend visibles.

Donc, ce n'est pas très étonnant que plus de femmes aient envie, pour contribuer à l'égalité de genre, d'être nommées dans la langue. Et puis, ce n'est pas très étonnant non plus d'un point de vue générationnel, puisque la question du langage inclusif, il faut la replacer aussi dans le contexte de l'objectif qu'elles visent. L'objectif final qu'on vise, c'est l'égalité femme à homme, et d'ailleurs l'égalité de genre de manière générale.

Aujourd'hui, on sait par d'autres études que les plus jeunes générations sont beaucoup plus éveillées à tout un tas de sujets d'engagement et de valeurs, parmi lesquelles l'égalité, la question de la diversité et l'inclusion de la culture que des gens qui ont 50, 60 ou 70 ans. Donc, je pense que par le prisme des personnes concernées, j'ai envie d'être visible en tant que femme, donc j'ai envie de mobiliser tous les outils qui sont à ma disposition et à la disposition de tout le monde pour me rendre visible.

Ça explique la notion de genre. Et après, l'aspect générationnel, c'est un aspect assez commun dans l'adhésion, finalement, à l'idée de progrès social, de meilleure représentation et de plus d'inclusion.

Léa

Oui. Et d'ailleurs, l’étude révèle qu’un quart des Français et des Françaises indiquent ne pas avoir fait usage du point média en l'occurrence. Et pourtant, ils y seraient favorables si cela devait être la règle. Quel conseil donneriez-vous à ces personnes qui souhaiteraient s'initier au langage inclusif ?

Alicia 

Je pense que c'est important de se déculpabiliser et, encore une fois, de se redire quel est l'objectif. L'objectif, c'est de mieux représenter les femmes et les hommes. Il y a un outil qui est le point médian, mais il y en a plein d'autres qu'on peut mobiliser. Parce que là, on se focalise beaucoup sur le « comment ? », mais on oublie aussi quelles conséquences ça a. Aujourd'hui, on a 50 années d'études de psycholinguistique qui ont prouvé par A+B, et plus d'une fois, que parler au masculin dans la langue contribue à générer plus des représentations d'hommes dans nos têtes, qu'on le veuille ou non. Et donc, quand je vous dis « Citez-moi trois auteurs célèbres », vous allez plus facilement me donner des noms d'hommes que si je vous dis « Citez-moi trois auteurs et autrices célèbres ». Cela, on l'a mesuré.

On a trois fois plus de noms de femmes qui sont citées dans le cadre de la formulation inclusive. Donc, en réalité, si on est d'accord sur cette prise de conscience, si on a compris que ça a un impact, à ce moment-là, il faut se laisser libre d'utiliser toute la palette des outils. Si on n'est pas à l'aise avec le point médian parce qu'on a du mal à le faire sur son clavier dans le cas d'une pratique de l'écriture numérique, ou parce qu'on trouve qu'avec son stylo, c'est compliqué de le faire, on n'a pas ce réflexe-là, c'est ok. Utilisons une autre des techniques, utilisons la double flexion, par exemple le « Françaises, Français », des mots englobants, j'ai dit tout à l'heure le « corps professoral » ou des termes épicènes comme les « élèves » par exemple, ça marche aussi très bien. En réalité, le principal frein que j'ai observé chez les personnes qui veulent avoir une pratique du langage inclusif, c'est surtout la peur, c'est-à-dire la peur de s'afficher en tant que féministe, la peur de passer pour hypocrite parce qu'on est un homme et qu'on écrirait de manière inclusive, la peur de se tromper aussi, la peur de ne pas suivre les règles.

En français, certes, il y a plein de règles. On est habitué à nous enseigner plein de règles depuis l'école, mais ce qui fait la règle du français, c'est avant tout l'usage. Comme je disais tout à l'heure, il y a une variété de pratiques. On a aussi bien des points médians, des points finaux, des majuscules, des parenthèses. Même si moi, j'ai une préférence pour le point médian, qui a l'avantage d'être totalement neutre en termes de symbolique, c'est ok qu'il y ait plein de pratiques. L'essentiel, c'est d'éviter d'utiliser le masculin générique ou dit “générique” tout le temps, c'est tout. Donc, évitez de dire « Bonjour à tous » mais dites juste « Bonjour ». Parfois, raccourcir, c'est aussi bien que simplifier, c'est aussi bien que de vouloir rajouter. Et peut-être qu'un challenge qu'on peut se fixer individuellement, c'est de se dire « Cette semaine, je vais écrire un email dans le cadre de mon travail, je vais écrire un message sur un groupe WhatsApp, je vais écrire une lettre à l'administration… ». Mon challenge, c'est que cette semaine, dans un des écrits que je produis, je vais essayer d’écrire avec une intention inclusive et je vais voir ce que ça donne.

Et toutes les semaines, on s'en donne un, et puis finalement, ça finit par rentrer. Parce que c'est la pratique ensuite qui vient renforcer la facilité avec laquelle on va spontanément s'exprimer en inclusif.

Léa 

Merci pour ce conseil précieux, qui induit plusieurs conseils en un d'ailleurs. Pour finir, où peut-on retrouver votre travail ? Où souhaitez-vous rediriger les personnes qui nous écoutent ?

Alicia  

Comme je disais, j'ai créé un site qui s'appelle Re·wor·l·ding , comme « Refaire le monde avec des mots ». Vous pouvez me trouver moi, Alicia Birr, sur LinkedIn, ainsi que Re·wor·l·ding  sur LinkedIn, mais vous pouvez aussi trouver ReWorlding sur Instagram. Donc, n'hésitez pas. Sur Instagram, par exemple, je poste beaucoup de publicités ou d'affiches prises dans la rue avec des exemples de réécriture inclusive. 

Léa 

Merci beaucoup. C'est la fin de cet entretien.

Alicia 

Merci beaucoup, Léa.

Interview réalisée par Léa Paolacci.